Vietnam 2018 part 3


Lao Caï 22 novembre

Après une nuit dans un village Dao où nous avons assisté à une fête pour les douze ans du fils de famille et bu de l’alcool de riz plus que de raison, nous faisons route vers Lao Caï, deux cents cinquante kilomètres d’une route de bonne qualité avec des passages d’une vingtaine de kilomètres dignes de l’enfer du nord. Notre récompense à l’arrivée est de rencontrer cette femme Mong et son mari qui sont venus faire un tour à Lao Caï. Derrière elle, c’est la Chine, la barrière de la frontière et une longue file de camions, au-delà du fleuve Rouge qui sépare les deux pays.

Elle est venue de son village lointain, et se trouve un peu perdue dans la grande ville grouillante de Lao Cai. En vêtements traditionnels, elle traverse la ville qui importe le vingt et unième siècle électronique de son grand voisin.

Derrière elle, les HLM de luxe de la rive chinoise brillent de mille feux changeant de couleur comme des arbres de Noêl de béton. La Chine veut épater le Vietnam mais, évidemment, n’y parvient pas.


Sa Pa 23 novembre

Nous étions venus plusieurs fois à Sa Pa il y a une quinzaine d’années mais, excepté la vieille église catholique, nous n’avons rien reconnu. Tout ce qui faisait le charme de cette vieille ville de montagne avec son marché aux amoureux et les mongs couverts de vêtements indigo a disparu pour laisser la place à des hôtels et des restaurants et même un téléphérique permettant d’atteindre le plus haut sommet du Vietnam, le Phan Si Pan 3143m. Notre déception est grande et triste. Le tourisme vu par les édiles vietnamiens nous laisse pantois. Nous ne retrouvons le sourire qu’en rencontrant les enfants d’une école de la vallée.

Dans notre hôtel de luxe choisi pour son confort et des souvenirs de jours meilleurs avec des membres chers de notre famille, nous retrouvons un beau visage vietnamien nimbé de pleurs.


Sa Pa-Sin Ho 24 novembre

Il est bon de se tromper de route en négligeant les indications du téléphone GPS. Nous choisissons la plus petite et la plus isolée pour rejoindre Sin Ho dont Pierre nous a conseillé la visite. Cela fait plus de vingt ans qu’il écume ces régions, il doit avoir de bonnes raisons. On retrouve un Vietnam intact sans touristes sinon nous-mêmes, des enfants qui jouent sur le bord de la piste et des gens qui s’arrêtent un instant de travailler pour voir passer les « Tay Tay ». Il ne doit pas en passer souvent par ici, la plupart prennent la grande route que nous supposons beaucoup plus quelconque.

La grande soeur n’est pas farouche mais mignonne.

Nous sommes l’attraction de la journée et surprenons les villageois qui rentrent le riz.

Sérieux, souriants ou facétieux, nous ne parvenons pas à nous faire comprendre de ces braves gens...


Sin Ho 24 novembre

Sin Ho est un tout petit village situé sur les hauteurs de la montagne. Un terrain de foot en plein centre, trois Com Pho où l’on pourra manger et deux hôtels qui ne retiendront pas notre attention sinon pour le palmarès du matelas le plus dur.

On est justement dans le dur à Sin Ho. Pas de grande ville à l’horizon, la seule ressource est un petit marché très coloré par les vêtements des Mongs et quelques magasins parmi lesquels un boulanger qui fabrique des génoises comme à Hanoï.

En tournant dans le village, nous remarquons une route qui part dans les champs et arrivons dans un hameau ou les couturières travaillent à broder les vêtements au milieu de la rue par une température d’une petite dizaine de degrés. Il y a des enfants partout qui piaillent dans tous les sens. Nous achetons un lot important de saucisses au seul magasin du hameau et les distribuons aux petiots qui nous invitent dans leurs maisons.

Au milieu de la pièce trône un feu dans une sorte de lessiveuse qui réchauffe surtout le plafond. Le sol est en terre battue et tous les gamins du village entrent dans la maison. On ne fait pas de manières par ici, ta maison est ma maison et réciproquement. On boit une eau chaude qui doit être un thé, on distribue quelques saucisses et nous voilà repartis vers un Com Pho où on pourra manger une soupe au boeuf avec une bière. Les restaurants de Sin Ho n’ont pas de carte. La vie est simple et brute de décoffrage mais les gens sont beaux et accueillants.


Sin Ho 24 novembre

Le marché et moi nous éveillons aux aurores et vers six heures les porcs passent un sale quart d’heure pendant que les petiots déjeunent d’une soupe de nouilles (au porc pardi!).

Je sens que cet envoi va devenir « gore » à souhait...

Le coutelier est déjà au travail et me vend un coupe chou pour moins d’un euro, « Cela peut toujours servir» semble-t-il dire. Je ne me sens pas de vocation de boucher néanmoins.

En face, le restaurateur de ce mets délicieux qu’est le chien d’élevage met la dernière touche au plat de ce midi. Je vous avais dit que ça allait être « gore ». Nous n'avons mangé du chien qu'une seule fois lorsque des femmes d’un village près de Hanoi nous avaient fait croire qu’on allait manger du lapin. On avait trouvé assez vite que les os étaient un peu gros pour du lapin… Elles avaient éclaté de rire en faisant

«Ouah, ouah». Ce n’était pas très bon, pourtant les vietnamiens en raffolent.


Dien Bien Phu 25 novembre

Je m’étais souvent promis d’aller à Dien Bien Phu à la suite d’une conversation avec un ancien combattant vietnamien, président des Amitiés franco-vietnamiennes et je ne l’avais jamais fait.

La ville n’existait pas pendant la bataille de sinistre mémoire et nous choisissons l’hôtel A1 qui nous paraît adapté au confort réclamé par nos fesses, nous avons déjà fait près de 2000 kilomètres sur cette moto increvable. On ne se pose pas de questions sur le nom de l’hôtel jusqu’à ce qu’on découvre que c’est le nom de la colline Eliane qui se trouve juste en face. Le colonel de Castries, artisan de notre débâcle en 1954, était d’humeur guillerette lorsqu’il avait baptisé les quelques collines qui délimitaient les positions françaises,  il leur avait donné le nom de ses maîtresses.

Un poète, je vous dis, qui fut nommé général au plus fort de la bataille quand l’état-major français s’aperçut que nous ne pouvions plus gagner. Le hall de notre hôtel est tapissé de photos du général Giap, artisan de la victoire.

Je me souviens de ma conversation avec le président des Amitiés franco-vietnamiennes. Il m’avait demandé si je connaissais les raisons de notre défaite à Dien Bien Phu. Ne connaissant rien à l’art de la guerre je lui avais donné ma langue au chat et il m’avait répondu dans un sourire: « Quand nous ne combattions pas, nous les officiers, on lisait Balzac et La Fontaine dans le texte, nous savions comment vous pensiez... ».

L’anecdote est un jeu de mots mais décrit bien, en creux, le mépris des coloniaux vis-à-vis des colonisés.


Phat Diem et Nam Dinh 27 novembre

A Nam Dinh, on se lève de bonne heure pour les exercices physiques du matin. Je rencontre M. Bong auprès du lac dans le centre de la ville. Il est à peine sept heures et il arrive d’un village à trente kilomètres de là. Il est très sportif, a fait du vélo toute sa vie et de la boxe. Sa garde est restée efficace.

On discute un peu avec ses trois mots de français et mes trois mots de vietnamien. Il me raconte sa vie qui est assez exceptionnelle, il a été chanteur d’opéra dans l’armée et s’est produit sur nombre de scènes des pays du pacte de Varsovie. Mais sa carrière s’est achevée il y a déjà trente ans. Il a quatre vingt dix ans...

A Phat Diem que nous connaissons déjà, nous faisons le tour de la cathédrale catholique construite comme une pagode dont les ornements de bois sont remarquables. Toutes les toitures et plusieurs chapelles sont en réfection si bien qui que le charme de l’église asiatique a disparu. Certaines scènes du film Indochine ont été tournées ici.


Hai Phong 30 novembre

Nous suivons un fleuve sans savoir lequel entre Nam Dinh et Hai Phong, flirtons avec le bord de mer par endroits, nous devons être perdus. En nous arrêtant dans un village près d’une usine, nous traversons de nouveau une veillée mortuaire, un chapiteau étant installé en travers de la route. La musique est, comme souvent, lancinante. Il fait une chaleur lourde dans une atmosphère pesante. Une larme glisse doucement sur le visage de la fille de la défunte.

Nous présentons nos respects à la grand-mère qui vient de décéder en nous inclinant.. Sa soeur et sa petite fille prient devant le cercueil.

Nous nous rapprochons de Hai Phong. On boit un verre et on mange un morceau dans une noce paysanne. Nous sommes les pique-assiette des évènements familiaux. Je fais quelques portraits mais le voyage se termine et le coeur n’y est plus tout à fait. L’ordinaire de nos jours pendant ce voyage a été extraordinaire en fait: nous avons été accueillis partout par des sourires et une générosité peu commune, nous avons encore pris une leçon de vie au Vietnam, comme souvent. Et c’est sûrement pour cela qu’on y revient si régulièrement.


Ile de Cat Ba 2 décembre

Nous connaissons Cat Ba depuis longtemps, c’est une île pour quelque temps encore alors que Cat Hai, sa petite soeur, est déjà rattachée au continent par un pont immense. Cat Ba est devenue une villégiature de week-end pour Hanoïens fatigués. Le port a perdu soixante dix pour cent de ses bateaux mais maintient une petite activité pour les restaurants et les hôtels. L’intérieur de l’île est resté dans son jus: les petits villages côtiers ont gardé une vie paisible à l’abri des excès touristiques de la grande ville. Les enfants y sont toujours aussi beaux et souriants

Au nord de l’île, un petit port accueille les derniers ferries pour Hai Phong. Dans une baie, des drapeaux signalent une pagode sur la rive. On peut y accéder par un pont de bois. C’est là qu’ont été tournés certains plans du film Indochine quand le beau militaire français et sa belle compagne vietnamienne s’enfuient pour échapper aux règles coloniales. Le site est splendide malgré la nuit qui tombe. Près de la pagode deux anglo-saxons écoutent du hard rock avec leur téléphone. Qui a dit que le bon sens est la chose la mieux partagée?

Nous allons jusqu’à la fabrique de nuoc mam qui empeste toujours autant les alentours du port. Le nuoc mam est interdit dans les avions au cas où le contenu d’une bouteille se répandrait dans l’appareil et rendrait son atmosphère irrespirable pour de longues semaines. Le nuoc mam est cette sauce de poisson obtenue par fermentation; le mets le plus horrible pour un européen et le plus délicieux pour un vietnamien. Son prix peut atteindre plus de dix euros le litre et j’ai connu un vietnamien qui le buvait à la bouteille au petit déjeuner.

A côté, la fabrique de glace pour les bateaux fonctionne encore dans des conditions dignes des années trente. Un employé prend une douche dans le seul endroit frais de l’île.


Hanoi 3 décembre

Nous rentrons lentement vers Hanoi et la maison de nos amis, flânons encore un moment dans les trente six rues qui ne changent guère sinon qu’elles semblent toujours plus grouillantes de vie(s). Un gamin joue avec moi alors que je cherche à le photographier à travers la vitre du restaurant. Il est malin et a été élevé dans les rues de Hanoi, une des meilleures écoles de la vie avec Manille et Phnom Penh.

Notre amie Phuong a prévu un steak frites ce soir, attention touchante pour des européens qui commencent à saturer des nouilles et du boeuf en lamelles. Je rends la moto à Pierre qui m’avoue un peu étonné que lui-même n’est jamais parti aussi longtemps en balade à moto.

Nous avons fait deux mille quatre cents kilomètres, monté des côtes comme il n’en existe pas dans notre Normandie, rencontré plus de sourires en trois semaines que nous n’en rencontrerons dans l’année à venir, discuté à n’en plus finir avec des gens qui ne nous comprenaient pas plus qu’on ne les comprenait et partagé de nombreux repas avec de parfaits inconnus.

Il fait bon être regardé avec bienveillance, il fait bon être accueilli avec générosité par des enfants rosée, des femmes lianes et des hommes banians. Il ne fait absolument aucun doute que nous reviendrons.