RICHARD MENANT: Kampuchea 3 ans 8 mois 20 jours




Il y a juste quarante ans, le 17 avril 1975, les khmers rouges entraient dans Phnom Penh sous les vivats des habitants las d’une guerre qui n’était pas la leur, importée du Vietnam par l’armée américaine.

Commençait alors la période la plus noire de l’histoire cambodgienne. Pendant 3 ans 8 mois et 20 jours, les cambodgiens allaient  vivre sous la dictature sanguinaire de dirigeants médiocres ayant mal digéré une idéologie apprise dans la France des années cinquante et soixante et dans les écrits des grands auteurs de la révolution française.

Pendant cette période, près de deux millions de cambodgiens moururent de faim dans des camps construits à la hâte et dans des communautés villageoises peuplées de gens qui avaient jusqu’alors vécu dans les villes et sans compétence pour les travaux qui leur étaient demandés, ils moururent aussi sous la torture dans des goulags prenant l’allure d’écoles, de pagodes ou de camps de brousse avouant tout ce que leurs tortionnaires souhaitaient  pour que la douleur prit fin fut-ce dans la mort.

En quelques jours, Phnom Penh fut évacuée de ses deux millions d’habitants (sur les 7 que comptait le pays) dont beaucoup de réfugiés fuyant la guerre américaine. Il ne restait dans la ville que quelques rares fantômes habillés de noir le front ceint du khrama à carreaux rouges et blancs.

En quelques jours, l’argent fut aboli, les étrangers déclarés indésirables, les bibliothèques brûlées, les pagodes et les églises démolies, les intellectuels, les enseignants, les moines pourchassés et tués. L’ancien peuple (les paysans principalement) étaient la seule référence à conserver, le nouveau peuple (les citadins corrompus par la ville et les modes de vie occidentaux) devaient être rééduqués ou « détruits) selon la terminologie en vigueur . Les enfants apprirent très vite à renier leur famille pendant des séances d’endoctrinement  ressemblant  à un catéchisme de l’absurde, à dénoncer leurs parents pour tout geste égoïste nuisant à la collectivité. Les gens apprenaient la peur, celle qui tenaille encore le ventre quarante ans après et qui empêche encore les cambodgiens de parler d’une époque maudite.

Quarante ans après, les dirigeants du Cambodge sont d’anciens Khmers rouges s’étant reconvertis en fuyant à l’étranger avant la chute du régime. Les pauvres n’ont jamais été si nombreux, l’écart entre eux et les plus riches n’a jamais été aussi grand et les pays occidentaux ainsi que la Chine continuent à dépecer le pays en exploitant les travailleurs cambodgiens dans tous les domaines d’activité demandant de la main d’œuvre bon marché.

Quarante ans après, même avec les procès menés sous la pression des pays occidentaux et financés principalement par la France et le Japon, le triste anniversaire du 17 avril n’est que très peu repris par les médias occidentaux ou cambodgiens. Un entrefilet dans Libération ou Le Monde, rien à la télévision sinon la diffusion d’un film de Rithy Panh à une heure très tardive… L’occident  a oublié les Khmers rouges, l’inconséquence de la politique américaine de Kissinger et Nixon, l’aveuglement de certains intellectuels et journalistes  occidentaux, dont nombre de français, voyant dans cette tentative de table rase, l’avènement du grand soir des révolutionnaires de salon, maoïstes de posture, écrivant dans des médias qui, à l’époque, saluaient  la révolution cambodgienne et y constataient l’avènement d’un monde nouveau créé par le peuple et pour le peuple. Sans prendre le temps de lire Cambodge Année zéro, publié au même moment par François Ponchaud, prêtre expulsé du pays, qui racontait les exactions du nouvel état. Quand on le lisait, on ne croyait pas un instant à sa relation des faits.

Je suis allé au Cambodge de nombreuses fois, je suis revenu à chaque voyage au lycée Tuol Sleng de Phnom Penh qui servit de centre d’interrogatoire et de torture pour les opposants supposés au régime. La visite de ce qui est devenu un monument aux douze mille morts qui passèrent ses portes est un moment éprouvant. Selon l’heure de la journée, on peut croiser des touristes hébétés qui, dans leurs bermudas fleuris et leurs lunettes de soleil, font l’expérience d’une horreur qu’ils ne connaissaient pas ou des cambodgiens jeunes ou moins jeunes qui pleurent en regardant la collection de photos impressionnantes qui couvre les murs.

Les Khmers rouges aimaient la photographie: ils prenaient en photo tous les prisonniers à leur arrivée à Tuol Sleng, photo qu’ils joindraient ensuite aux procès-verbaux des interrogatoires subis par les détenus et aux aveux corrigés de la main de Douch et réécrits des dizaines de fois avant que leurs auteurs soient éxécutés dans les « killing fields » de Choeung Ek à une quinzaine de kilomètres de Phnom Penh.

J’ai toujours été intéressé, voire fasciné, de façon morbide par ces lieux d’horreur  où l’homme semble devenir fou, car le tortionnaire, l’interrogateur, le directeur du camp sont bien des hommes, quoi qu’on veuille les faire passer pour des monstres. Ce sont généralement de bons pères de famille qui aiment leurs enfants et font tuer ceux des « traîtres ».

Quand on a vu Tuol Sleng et ces milliers de photographies, il est bien difficile d’en ressortir indemne. Ces visages de victimes vous poursuivent dans votre voyage et plus tard dans votre vie. Moi, je les vois partout. Dans la campagne cambodgienne, dans une pagode où quelques ossements sont entassés, dans les temples restaurés où subsistent quelques impacts de balles, dans des lieux perdus où un gamin armé d’une lampe de poche vous explique avec le sérieux d’un guide professionnel les tortures subies par les victimes dans des cavernes qui restituent facilement l’atmosphère de l’horreur.

Cette exposition qui mêle les images des victimes volées sur Internet et les photos prises dans le pays veut simplement être un témoignage contre l’oubli, contre l’indifférence, une façon de marquer le pas dans nos vies tellement surchargées de pensées inutiles qui nous font oublier à quel point nous avons la chance de vivre.    

Richard Menant

 


Invitation au vernissage


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Soirée Débat et info

Le vendredi 24 juillet à 20h une soirée sera consacrée à visionner des extraits de documentaires sur la vie au Kampuchea Démocratique entre 1975 et 1979. On pourra poser toutes sortes de questions...


Exposition


La Presse de la Manche